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Pour les successeurs d’entreprises familiales, la fierté est-elle un atout ou un frein ?

Fabian Bernhard , Associate Professor

Dans cet article, initialement publié dans The Conversation, Fabian Bernhard, Professeur associé à l'EDHEC et membre de la chaire Entreprises familiales, s'intéresse à l'ambiguïté relative à l'affichage et à la perception de la fierté pour les successeurs d'entreprises familiales...

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21 oct 2024
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Moins de quelques secondes suffisent pour se faire une première impression sur quelqu’un. Et cette première impression est puissante : nous y restons attachés très longtemps. Une bonne nouvelle si elle est positive, un peu moins si elle ne n’est pas. Porter haut les couleurs d’une entreprise familiale n’échappe pas à la règle : que l’on soit impliqué opérationnellement, fortement ou non, futur dirigeant ou encore membre du conseil d’administration, ce que l’on dit et montre de son rapport à son entreprise est essentiel. Sa perception par les parties prenantes – salariés, consommateurs, partenaires commerciaux… – s’avère même cruciale.

 

En effet, notre dernière étude montre que jouer sur le registre de la fierté peut s’avérer à double tranchant pour les membres d’entreprises familiales. D’un côté, elle permet de renforcer l’identité, l’engagement et la cohésion dans l’entreprise. De l’autre, elle peut créer une impression négative d’orgueil ou de supériorité. Alors, comment l’expression de la fierté peut-elle influencer les impressions des personnes extérieures, et surtout, est-elle un atout ou un frein pour les nouvelles générations des entreprises familiales ?

 

Fierté ou arrogance ?

Si l’expression de la fierté est si clivante, c’est qu’il faut en différencier deux formes. D’abord, la fierté que l’on nomme hubristique, qui est la fierté liée au fait d’appartenir à l’entreprise familiale. Cette forme de fierté est perçue comme arrogante et peut engendrer des impressions négatives d’orgueil ou de supériorité, par exemple lorsque l’héritier d’une entreprise familiale se vante de son nom de famille. Cette fierté de statut peut créer une impression d’arrogance, de privilège voire même de manque de mérite auprès des personnes extérieures.

 

À l’inverse, il existe la fierté authentique, qui, par opposition à la fierté hubristique, s’ancre dans les efforts et les réalisations des membres de l’entreprise. Ce type de fierté est généralement perçue plus positivement par les personnes extérieures. Par exemple, un héritier présente un projet réussi par son entreprise. Dans ce cas, l’expression de la fierté engendre davantage d’admiration, une perception de compétence et de légitimité.

 

La légitimité à exprimer sa fierté

Car au centre de ces deux images de la fierté se trouve un élément déterminant : la légitimité. Si la personne extérieure est convaincue d’un manque de légitimité, elle percevra la fierté comme de l’arrogance. D’autant plus que cela peut s’accompagner d’un effet de halo : nous avons tendance à nous faire une opinion de quelqu’un en fonction d’une seule caractéristique.

 

Prenons l’exemple d’un étudiant qui affiche sa fierté après l’obtention des meilleures notes de la classe tout en se vantant de ne pas avoir travaillé. Il verrait directement sa cote de popularité baisser, provoquant la jalousie et le rejet de la part de ses camarades qui le considéreront comme arrogant, quoi qu’il fasse à l’avenir. A contrario, s’il montre qu’il a fourni un effort conséquent pour réussir ce test, cela pourrait provoquer un sentiment d’admiration et une image de travailleur.

 

De fait, nous avons souhaité tester les impressions extérieures de la démonstration de la fierté par les nouvelles générations des entreprises familiales. Pour cela, nous avons étudié trois cas de figure : si l’héritier ressent exprime une fierté hubristique, une fierté authentique ou s’il n’affiche pas d’émotion particulière.

 

Une perception qui dépend aussi de la culture et du genre

Les résultats empiriques de cette étude confirment bien que la fierté hubristique engendre des jugements négatifs liés à l’arrogance et à une moindre performance. L’absence d’émotion est même mieux perçue. Inversement, la fierté authentique a donné lieu à des jugements plus favorables, percevant de meilleures performances, davantage d’innovation et de sympathie chez l’héritier.

 

Cependant, nous ne sommes pas tous égaux face aux perceptions des autres de notre fierté. C’est une situation très dépendante de notre culture et notre genre. Par exemple, toutes les formes de fierté sont généralement perçues de manière plus négative dans les cultures asiatiques que dans les cultures occidentales, du fait des fortes valeurs de cohésion véhiculées par ces cultures. La fierté, même authentique, est perçue comme une menace de l’équilibre social et la mise en avant d’un individualisme excessif. En Chine, l’expression de la fierté est jugée de manière négative, alors que les Américains considèrent qu’il est beaucoup plus approprié d’éprouver ou d’exprimer de la fierté pour leurs réalisations personnelles.

 

Chez les femmes, l’expression de la fierté hubristique a été jugée plus négativement que chez les hommes, car les femmes dirigeantes sont généralement plus négativement perçues lorsqu’elles manifestent des émotions qui véhiculent une image de domination. Par contre, la fierté authentique a eu un impact plus positif auprès des femmes, car elle va à l’encontre des perceptions liées aux stéréotypes de genre existants.

 

Finalement, pour les nouvelles générations des entreprises familiales, afficher de la fierté peut s’avérer un atout ou un frein pour leur image. Mettre en avant une appartenance à l’entreprise familiale sans légitimité apparente engendrera davantage de sentiments négatifs tandis qu’afficher de la fierté pour ses réalisations et l’effort fourni permet de créer des perceptions plus positives. Alors, prêts à faire bonne impression ?

 

 

Cet article de Fabian Bernhard, Professeur associé à l'EDHEC, a été republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

 

 

Photo de LinkedIn Sales Solutions sur Unsplash

The Conversation