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4 questions à Thomas B. Long sur l'entrepreneuriat et la post-croissance

Thomas B. Long , Associate Professor

Dans cette interview, Thomas B. Long, professeur associé à l'EDHEC, détaille pourquoi l'élaboration d'images plus claires des modèles alternatifs permet de mieux défendre la nécessité d'un avenir post-croissance. Un avenir qui offre une meilleure qualité de vie et un monde plus durable pour les générations à venir.

Temps de lecture :
17 Sep 2024
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Concernant la post-croissance, vous semblez convaincu que le « pourquoi » a remplacé le « comment ». Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet ? Quels sont les changements et les opportunités qui en découlent ?

Thomas B. Long: Il est sans doute plus juste de dire que le « comment » a rejoint le « pourquoi » pour occuper une place prépondérante. Le « pourquoi » reste important bien sûr. La force avec laquelle la durabilité est inscrite à l'ordre du jour dépend de la conjoncture politique (1), et compte tenu de l'aggravation de la crise environnementale, et en particulier de la crise climatique, le « pourquoi » reste une question cruciale et permanente - très actuelle donc. L'accent mis sur le « comment » pour mettre en œuvre des stratégies plus durables, et en particulier des stratégies de post-croissance, constitue une voie constructive et peut contribuer à alimenter le débat plus large sur la durabilité, même (surtout!) en l'absence de consensus.

 

De manière simplifiée, on voit émerger deux approches. D'une part, nous misons sur les innovations technologiques pour nous sauver. Elles doivent dissocier les impacts environnementaux - donc les émissions de carbone, les dommages causés aux écosystèmes et à la biodiversité - de la croissance économique. Il s'agit de la « croissance verte », l'approche du statu quo pour de nombreuses entreprises, gouvernements, etc. Mais jusqu'à présent, les preuves ne sont pas prometteuses, comme le montre l'excellent travail de Timothée Parrique (2). D'autre part, nous considérons que l'innovation technologique ne peut pas rompre le lien entre la croissance et son impact sur l'environnement. Nous devons alors réfléchir à une autre façon d'organiser notre économie et nos entreprises.

 

En nous concentrant davantage sur le « comment », nous pouvons commencer à explorer ce à quoi ces alternatives pourraient ressembler et envisager ce qui peut être fait à court terme compte tenu de la gravité de la crise. Et nous demander ce que nous pouvons envisager à l'avenir. En construisant des images plus claires de ces modèles alternatifs, nous pouvons défendre plus fermement la nécessité d'un avenir post-croissance, en montrant qu'il offre une meilleure qualité de vie et un monde plus durable pour les générations futures. Des cadres tels que l'économie du beignet (Doughnut Economics) (3) et l'économie circulaire (4) fournissent des outils pratiques pour cette transition, tandis que la post-croissance offre un diagnostic plus large avec des critères d'orientation. Ensemble, ces approches peuvent nous aider à envisager et à façonner l'avenir que nous souhaitons tracer.

 

Vous étudiez l'entrepreneuriat et certaines de ses tensions, notamment l'ambiguïté de son modèle de croissance, son ancrage dans les entreprises locales, la tentation du « greenwashing ». Pouvez-vous nous en dire plus ?

Thomas B. Long: Tout à fait. À l'origine, je venais plutôt du monde de l'économie et des sciences politiques. J'ai voulu me concentrer sur les défis de la durabilité dans mes premières recherches, et il m'a semblé que les entrepreneurs et les entreprises, grandes et petites, anciennes et nouvelles, comptaient parmi les acteurs les plus intéressants et les plus actifs. Nombre d'entre eux faisaient manifestement partie du problème, mais beaucoup essayaient aussi de faire des affaires et d'entreprendre différemment, en repensant l'entrepreneuriat et la stratégie pour un avenir durable. Je pense que c'est encore le cas aujourd'hui.

 

Ce qui est le plus intéressant et le plus convaincant pour moi, c'est le potentiel de résolution de problèmes que possèdent, en particulier, les entrepreneur. Je pense que l'esprit d'entreprise peut être extrêmement puissant en tant que processus créatif et de résolution de problèmes. Le phénomène de l'entrepreneuriat durable, y compris l'éco-entrepreneuriat ou l'entrepreneuriat social, le confirme - nous avons maintenant de nombreux exemples des résultats positifs qui peuvent être générés par ces approches (5), et c'est donc formidable de faire des recherches sur ce sujet et de participer à la formation de la prochaine génération d'entrepreneurs et de chefs d'entreprise.

 

Toutefois, nous sommes aussi dans un moment clé pour remettre en question les progrès réalisés jusqu'à présent, et nous pouvons constater que ces formes pro-sociales et pro-environnementales d'entrepreneuriat, sont insuffisantes sans changements plus larges, compte tenu de l'ampleur de la crise (6). Dans mes recherches, j'essaie d'explorer comment l'entrepreneuriat et la stratégie doivent changer pour faire partie de la solution dans un monde post-croissance.

 

Dans cette optique, vous plaidez en faveur d'une toute nouvelle approche de l'entrepreneuriat : de la croissance durable... à la post-croissance. Qu'est-ce que cela signifie ?

Thomas B. Long: Lorsque nous parlons de passer d'une approche durable à une approche post-croissance dans l'entrepreneuriat, je pense que nous parlons en fait d'un changement fondamental dans la manière dont nous définissons le succès et la croissance dans les entreprises, afin de les aligner sur les réalités biophysiques.

 

L'approche post-croissance remet réellement en question certaines des hypothèses de base du paradigme de la « croissance verte » dont j'ai parlé. La durabilité dans le cadre du paradigme de croissance actuel suppose encore souvent que la croissance économique est un fait acquis et que l'objectif est de rendre cette croissance plus « verte » ou plus inclusive sur le plan social.

Les entrepreneurs sont toujours encouragés à se développer rapidement, à conquérir des parts de marché et à maximiser leurs profits, mais cela peut conduire à bon nombre des problèmes que nous connaissons. Cet impératif de croissance (7) peut être en conflit direct avec la nécessité d'opérer dans les limites de la planète et de se concentrer sur le bien-être à long terme de la communauté. Le paradoxe ici est que si la croissance est considérée comme un marqueur de succès, elle peut aussi conduire à des résultats négatifs si elle n'est pas gérée dans une perspective plus large de durabilité. La question est donc de savoir si et comment la croissance est atteinte et gérée, dans quels secteurs et dans quelles régions du monde.

 

La post-croissance suggère que nous devons dépasser l'idée que la croissance - en particulier la croissance économique - est intrinsèquement positive ou nécessaire. L'entrepreneuriat post-croissance pose plutôt la question suivante : comment les entreprises peuvent-elles contribuer au bien-être humain et écologique ? Et ce, sans s'appuyer sur les critères traditionnels de réussite, tels que la maximisation du profit à tout prix et l'expansion du marché. Il ne s'agit plus nécessairement de savoir à quelle vitesse ou à quelle taille une entreprise peut se développer, mais de déterminer dans quelle mesure elle peut répondre aux besoins réels des personnes et des communautés d'une manière qui soit régénératrice et durable à long terme. Cela peut signifier donner la priorité au bien-être des employés, des clients et de la communauté, ou se concentrer sur la restauration écologique plutôt que de se contenter de minimiser les dommages. Cela pourrait être synonyme de croissance et de taille, mais ce n'est probablement pas le cas.

Par exemple, un entrepreneur en phase de post-croissance peut choisir de limiter délibérément la taille de son entreprise afin de rester gérable et de maintenir des relations locales solides. Il pourrait se concentrer sur la création d'un produit conçu pour durer, plutôt que de générer des ventes répétées par le biais d'une obsolescence planifiée. Il peut aussi donner la priorité aux chaînes d'approvisionnement locales et à la résilience des communautés plutôt qu'à l'expansion internationale.

 

Lorsque nous lisons vos derniers articles, la post-croissance semble être "au coin de la rue", faisable rapidement. Êtes-vous d'accord ? Quelles sont les principales idées fausses sur ce concept ? Mais aussi : comment y parvenir ? Comment les entrepreneurs peuvent-ils nous aider ?

Thomas B. Long: Si les idées post-croissance gagnent du terrain, il est important de reconnaître qu'il n'y a pas d'entreprise entièrement post-croissance, cela n'existe pas, du moins pas encore. Nous avons l'exemple classique de Patagonia, mais aussi d'autres exemples plus récents, qui intègrent tous des éléments de la pensée post-croissance dans leurs opérations. On peut penser (à nouveau) à l'engagement de Patagonia en faveur de la durabilité et non de la recherche de bénéfices (8), à la valeur générée par Oatly lorsqu'elle fournit un substitut de lait à base de plantes (9) (10), ou à la production par Fairphone de téléphones modulaires faciles à réparer et à mettre à niveau, prolongeant leur cycle de vie et réduisant les déchets électroniques (11) (12). Il y a aussi des choses très intéressantes qui se passent autour des coopératives, comme Som Energia, qui sont les pionnières d'une plus grande participation et d'une codétermination démocratique. Toutefois, ces initiatives sont limitées par un système économique plus large qui privilégie toujours la croissance et les profits par rapport à d'autres objectifs.

 

L'essentiel est d'utiliser ces exemples pour influencer le débat général, en montrant qu'il est possible d'aligner la réussite commerciale sur la durabilité, même dans un système qui ne la soutient pas pleinement. Les entrepreneurs jouent un rôle essentiel dans ce processus, car ils expérimentent et démontrent la viabilité de nouveaux modèles d'entreprise. Je souhaite que mes recherches et mes enseignements contribuent à préparer les futurs dirigeants à conduire ces changements, en les dotant des outils nécessaires pour mettre en œuvre des pratiques durables et faire évoluer le système dans son ensemble vers un avenir post-croissance.

 

Références

(1) 2 avril 2022 - United Nations: "Secretary-General Warns of Climate Emergency, Calling Intergovernmental Panel’s Report ‘a File of Shame’, While Saying Leaders ‘Are Lying’, Fuelling Flames" - https://press.un.org/en/2022/sgsm21228.doc.htm

(2) Site web personnel de T. Parrique, "Research & Insights" section: https://timotheeparrique.com/work-2/

(3) About Doughnut Economics, The Dougnut Economics Action Lab - https://doughnuteconomics.org/about-doughnut-economics

(4) Ellen MacArthur Foundation, "It's time for a circular economy" - https://www.ellenmacarthurfoundation.org/

(5) CircularX.eu, Regenerative Business Case Database - https://www.circularx.eu/en/tool/30/regenerative-business-case-database

(6) The Club of Rome, "Why systemic change is essential for a sustainable future" - https://www.clubofrome.org/blog-post/systemic-change-sustainable-future/

(7) Oliver Richters, Andreas Siemoneit, "Growth imperatives: Substantiating a contested concept" (2019). Structural Change and Economic Dynamics, Volume 51, Pages 126-137 - https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0954349X19301742

(8) The Guardian, "Patagonia’s billionaire owner gives away company to fight climate crisis" (2022) - https://www.theguardian.com/us-news/2022/sep/14/patagonias-billionaire-owner-gives-away-company-to-fight-climate-crisis-yvon-chouinard

(9) Nancy Bocken, Lisa Smeke Morales and Matthias Lehner, "Sufficiency Business Strategies in the Food Industry—The Case of Oatly" (2020). Sustainability, 12(3), 824 - https://doi.org/10.3390/su12030824

(10) Site officiel Oatly - https://www.oatly.com

(11) Franziska Verena Haucke, "Smartphone-enabled social change: Evidence from the Fairphone case?" (2018) Journal of Cleaner Production, Volume 197, Part 2 - https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S095965261731435X

(12) Site officiel Fairphone - https://www.fairphone.com